Anatole releva son visage sur lequel rampaient les pesantes laves de la mélancolie, qui burinaient de gourds sillons le long de ses joues. Seuls, enterrés dans ce visage de cire, enchâssés au creux des profonds cratères de leurs orbites, les yeux rompaient de leur noirceur brûlante la grisaille estompée des traits.
Autour de lui étaient éparpillés les éléments, tout symboliques, de son refuge. Une vieille pipe, renversée sur le flanc, semblable à un navire échoué, agonisant parmi de fantastiques traînées de cendres. Un timbre-poste à l’effigie de Pasteur, riche sans doute de souvenirs d’enfance, sénescent et résigné. Une tasse en porcelaine de Limoges qui, par sa rotondité luisante et incongrue, faussait l’équilibre anguleux des lignes de fusain. Une cuillère bosselée qui servait tour à tour de grattoir, de tournevis, de cure-pipe ou de projectile contre quelque insecte maraudeur. Un paquet de tabac gris, placide et jovial, dont le ventre débraillé apportait au tableau je ne sais quelle suggestion de bonhomie. Une grosse montre plate, œil-de-bœuf ouvert sur l’éternité − celle de chaque instant, celle de l’instant à venir auquel succédera l’instant immédiatement suivant ; une éternité fort rassurante, en somme. Au fond, le lit fripé, félin, presque féminin dans son attente paresseuse.
Anatole songeait qu’il fallait aller se coucher. Non pas par une spéciale envie ; mais enfin, s’il veillait plus longtemps il serait fatigué demain. Il lui fallait au contraire être frais et dispos, sans ces bavures de sommeil qui appesantissent les traits.
Car demain serait le grand jour, demain, riche de mille promesses, chargé du fardeau de mille chimères et de mille espoirs sans cesse renouvelés. Prétexte à toutes les espérances fallacieuses, à toutes les vaines velléités.
Quand Anatole s’endormit, il songeait pour la deux cent quatre-vingt-troisième fois en cette année à tout ce qu’il ferait demain.